Rassemblement #3 : Danse, éducation et action culturelle - Verbatim
Le mercredi 5 mars 2025, Chaillot - Théâtre national de la Danse organisait la 3e édition de « Rassemblement ! », journée de réflexion et de partage sur la danse, initiée par Chaillot - Théâtre national de la Danse, conçue et réalisée en partenariat avec Télérama. Ce journée de débats a eu pour thème Danse, éducation et action culturelle.
Quelques élèves de La Relève en proposent ici un compte-rendu.
« Tout le monde danse » affirme Rachid Ouramdane en ouverture de cette journée.
Le mercredi 5 mars 2025 a vibré au rythme des échanges sur la danse dans l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC).
Pour le directeur de Chaillot - Théâtre National de la Danse, « faire de l’art, c’est réussir à se connecter aux personnes ». C’est ouvrir des chemins vers l’appropriation de soi pour faire en sorte de rassembler autour de l’art. L’EAC fusionnée à l’acte de création, par les vertus de l’art a ce pouvoir « de décloisonner le monde de l’art et de proposer le partage de l’art ».
Rachid Ouramdane cite alors un enfant des Chaillot colos qui avait résumé cela en une phrase simple mais puissante en arrivant à Chaillot : « C’est beau, et c’est aussi pour nous ».
Le programme de la journée, rythmé par des tables rondes sur la place de la danse dans l’EAC, rappelle que « l’art a besoin d’être médié ». La matinée sera consacrée aux apports spécifiques de la danse dans l'EAC, tandis que l’après-midi offrira un retour d'expériences et une réflexion prospective sur l’avenir de la danse dans l’enseignement.
Ce 3e Rassemblement est une « profession de foi et de mobilisation », selon Pierre Lungheretti, visant à sensibiliser autour des bienfaits de la danse dans le parcours des jeunes. Tandis que Dieynébou Fofana-Ballester rappelle l’essentiel : "La danse, c’est une onde joyeuse."
Cette journée annonce une grande mobilisation collective, un moment où l’inclusion de la danse dans l’éducation et la culture s’impose comme un enjeu crucial.
Sous l’animation d'Emmanuelle Bouchez, journaliste à Télérama, cette table ronde a mis en lumière les enjeux de la place de la danse dans les projets d’EAC.
David Mati dresse un constat alarmant : « La danse reste en retrait », il aborde la baisse de la présence de la danse dans les projets d’EAC au cours des 20 dernières années, notamment face à la montée des festivals dédiés à l’enfance et à la jeunesse. Dans la danse, il y a deux approches : une sportive et une artistique, « nous avons un besoin de renforcement de l’aspect artistique au-delà de l’EPS ».
Les témoignages illustrent l'importance de la danse pour les enfants, en particulier pour ceux venant de quartiers éloignés, comme le souligne Josette Baïz qui dit avoir une « admiration sans borne pour les enfants ». Il est crucial d'encourager la rencontre et l’échange culturel à travers la danse, notamment en ouvrant les enfants à toutes les formes de danse. Cela permet de développer leur corps, leur esprit, et de les considérer comme des artistes en devenir : « les enfants ouvrent leur mental, leur corps ».
Josette Baïz raconte son expérience à Marseille : « C’est en rencontrant les élèves des quartiers éloignés que j’ai compris l’importance de la danse dans l'EAC. Ces projets invitent à explorer toutes les danses ». Pour elle, la danse n’est pas seulement une discipline mais un vecteur de rencontre et d’échange culturel, où « si je te donne ma danse, tu me donnes la tienne et pourquoi pas ensuite danser ensemble une danse nouvelle ? ».
De nombreux acteurs soulignent la nécessité d’une continuité des projets EAC. Marie Donadieu met en avant que « sortir les enfants de l’école et travailler des compétences transversales et éducatives au sensible » est essentiel, tout en soulignant le manque de continuité avec des élèves exprimant souvent leur déception : « mais ça veut dire qu’on ne va pas vous revoir ? ».
La danse est aussi abordée sous un angle plus large par Isabelle Jacquot-Marchand, qui met l’accent sur la création d’un écosystème durable pour transmettre et faire perdurer les pratiques artistiques. Elle rappelle que la danse s’inscrit dans une conciliation des différents temps de vie, de l’enfance à l’âge adulte : « Chacun est porteur de culture, dans les parcours de vie de chacun on trouve une résonance, un écho ».
Elle remarque une « lucidité commune sur les budgets mais une progression des moyens sur l’EAC », les moyens ont doublés en 10 ans. Elle rappelle notamment l’utilité des 5 pôles de ressources en EAC (PREAC).
Enfin, des initiatives comme les projets dans les MJC (Maisons des Jeunes et de la Culture) et la plateforme ADAGE jouent un rôle crucial dans la démocratisation de la danse.
Selon Coralie Reboulet, leur maillage territorial facilite l’accessibilité et l’inclusion. Elle interroge la manière de créer un écosystème territorial de transmission : "Comment passe-t-on d’un ensemble de militants isolés à un écosystème de transmission ?".
Elle évoque des projets comme « créer une troupe de danse éphémère », visant à toucher des jeunes qui n’étaient pas initialement intéressés par la danse, tandis que Marie Donnadieu rappelle l'importance de la cartographie des ressources en EAC, facilitée par des dispositifs comme le Pass culture, a fait doubler le nombre d'élèves participants depuis 2021.
En somme, bien que la danse soit encore en retrait dans les projets EAC, des initiatives positives et une mobilisation croissante de ressources témoignent d'une volonté de renforcer sa place dans la culture éducative, comme le résume Coralie Reboulet : « la force de rassembler et de mutualiser ».
Cette table ronde a permis de poser les bases d'une réflexion partagée, soulignant à la fois les défis et les leviers à activer pour une place renforcée de la danse dans les projets d’EAC.
Chloé Arnaud initie le débat en soulignant que « mieux se connaître soi-même favorise l’engagement collectif » et insiste sur l’importance du geste dans l’interaction sociale, un lien direct entre danse et cognition incarnée. Selon elle, la danse permet de « travailler dans la sensation et se mettre à égalité » en brisant les barrières sociales. Elle offre un moyen de s’affranchir de la peur d’apprendre, en utilisant à la fois le langage verbal et non verbal, où « les mots et les gestes » deviennent des outils d’échanges horizontaux.
Les témoignages des différents intervenants montrent la diversité des parcours vers la danse et ses bénéfices. Julie Gouju, par exemple, explique que la danse lui a apporté « le lâcher prise » et qu’elle essaie de transmettre cette capacité.
De son côté, Dieynébou Fofana-Ballester est entrée dans la danse par l’éducation populaire et affirme avec conviction : « La danse m’a apporté la vie », soulignant l’émancipation radicale qu’elle offre. « Il n’y a pas d’effet magique mais il se produit une transformation immédiate ». La danse via l’EAC « participe à la construction identitaire de la personne ».
Julie Gouju évoque également la transformation rapide que permet la danse. Le processus de transformation corporel et mental est exploré dans des pratiques comme la danse Gaga, où l’on se libère du rapport à l'image et du miroir.
Les bienfaits de la danse ne s’arrêtent pas à la transformation personnelle. Véronique Boulenger rappelle que « mettre le corps en mouvement » a des répercussions directes sur le traitement du langage et la cognition. La danse a également des effets bénéfiques sur la santé. Elle mentionne des études montrant que la danse aide à réactiver la mémoire chez les patients atteints d’Alzheimer. En Suède, un programme de danse a montré une réduction des pathologies psychosomatiques chez 112 jeunes filles, illustrant l’importance de « la construction de l’estime de soi par la danse ».
Némo Flouret, quant à lui, ouvre la réflexion sur l’espace et la danse, en insistant sur le fait que « chacun a sa façon de s’approprier la danse ». Il créé des formes chorégraphiques qui rassemblent et font exister chacun dans son corps qui danse et parle d’« émancipation par l’espace, de sortir des lieux habituels de la danse ». Et affirme que « si l’acte de la danse est central, des lignes peuvent bouger de manières plus organiques ».
La danse permet à chacun de s’approprier son corps, « on a tous une capacité à danser, à bouger, à faire mouvement », Dieynébou Fofana-Ballester insiste sur la nécessité de « faire de la danse un espace d’apprentissage comme les autres », en brisant les stéréotypes.
Véronique Boulenger souligne que « la danse est un langage du corps, une dynamique sociale, une émancipation » et qu'elle aide les adolescents à mieux s'approprier leur corps, notamment à travers la proprioception.
Les idées de transformation et de libération de soi sont également présentes chez Julie Gouju, qui évoque la danse comme un « moteur de transformation corporelle, de notre rapport à l’école, de nos interactions » dans des projets comme Danse toi.
Némo Flouret termine sur la nécessité de « penser à la marge », de « danser sans penser à danser », et de « laisser une trace au-delà de l’écrit » à travers l’expérience.
Enfin, Dieynébou Fofana-Ballester conclut avec force : « La danse est un vecteur visible de transformation. Elle participe à la construction identitaire de la personne ». Un acte puissant d'émancipation qui se déploie dans l’espace social, corporel et mental.
Dans cette table ronde, plusieurs projets ont été présentés, chacun démontrant le rôle crucial de la danse dans l’éducation artistique et culturelle.
Rachid Ouramdane insiste sur la nécessité de donner plus de place à la danse dans les grandes structures culturelles et souligne que « ce n’est pas un à-côté ». Pour lui, la danse est avant tout un moyen de « partage et de transmission », et il appelle à « une plus grande attention à l’hospitalité dans les lieux de danse », afin de permettre un véritable accueil des spectateurs et des artistes.
Concernant l'intégration de la danse dans les circuits scolaires, Alice Rodelet présente le projet Constellations, qui propose une boîte à outils avec 9 types d’ateliers destinés aux enseignants, afin de répondre à la question : « Comment j’habite mon corps par la danse ? » Elle affirme avec conviction que « la danse est partout. Ce n’est pas une conviction, c’est une réalité ». Ce projet vise à rendre les enseignants autonomes dans l'intégration de la danse à leur pédagogie, afin qu'ils puissent l'aborder sous des angles divers.
Mélina Grémeaux-Barbuscia, des Hivernales d'Avignon, parle du projet Temps Danse, qui propose des formations visant à aider les enseignants à intégrer la danse dans leur pratique scolaire. Cela inclut à la fois une formation théorique et une pratique en classe pour accompagner les enseignants dans leur autonomie en matière de médiation. Elle souligne le lien fort créé entre enseignants et élèves grâce à la danse : « une confiance s’installe entre l’enseignant et les élèves. Elle peut les emmener au-delà de la danse, dans d’autres disciplines ».
Christophe Haleb, fondateur de la compagnie LA ZOUZE, partage son expérience avec le projet Danse In Situ, qui utilise les territoires comme support narratif pour la danse. Il insiste sur la capacité de la danse à générer des rencontres et à traiter des questions sociétales : « Toute cette jeunesse est poreuse, elle absorbe les notions d’identité, de masculinité toxique, d’homophobie ». Pour C. Haleb, la danse est un outil puissant pour briser ces barrières et rencontrer des publics de toutes origines. Il évoque également l’impact de son travail avec les jeunes de Guyane, soulignant l’importance de la danse dans les lieux extérieurs.
Concernant l’interculturalité, Alice Rodelet partage son expérience avec le projet Le km de danse qui met en valeur la rencontre et la création commune à partir des cultures des habitants d’un quartier. Elle témoigne que « tout le monde a une danse en soi », indépendamment de son parcours culturel. Ce projet est un exemple de danse interculturelle et intergénérationnelle, visant à tisser des liens forts entre les populations et à les réunir autour de la création artistique.
Enfin, Anouche Nichanian, enseignante, explique comment elle utilise les vidéos et les outils numériques comme médiation pour éveiller les élèves à la danse. Elle note que, dans sa classe, les élèves « se forgent une culture de la danse par l’image » grâce à des ressources comme les vidéos des Hivernales, ce qui leur permet d’élargir leurs horizons et de comprendre la danse au-delà de la pratique physique.
En conclusion, ces projets montrent à quel point la danse peut être un outil puissant de médiation et de transformation dans l’éducation, en favorisant l’inclusion, l’autonomie, et la cohésion sociale.
Comme le dit Rachid Ouramdane : « on est tous véhicules de culture, on est tous fait d’une histoire, on a tous une sensibilité à partager ».
Cette dernière table ronde aborde les perspectives futures de la danse dans l'éducation, en s'intéressant à l'usage des outils numériques et des réseaux sociaux comme leviers complémentaires dans la pratique de la danse.
Claudia Belchior met l'accent sur l’accessibilité de la danse, citant Rachid Ouramdane : « tout le monde danse », et plaide pour un décloisonnement des pratiques culturelles. Selon elle, la danse peut être un moyen puissant de résister aux forces réactionnaires, anti-démocratiques et nationalistes qui menacent la culture européenne. Elle souligne qu'il est crucial de défendre la culture au niveau européen, notamment avec des initiatives comme la campagne Resistance Now. Elle insiste également sur la nécessité de créer un parcours de collaboration entre acteurs de l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC), pour favoriser une meilleure interaction entre les différents acteurs du domaine : « Le levier EAC : s’assurer qu’il y a un parcours entre les acteurs amenés à mieux collaborer ».
Julie Desprairies met en lumière l'importance de l’éducation populaire et du décloisonnement. Elle explique que l’expérience du décloisonnement montre ce que l’éducation populaire peut produire en termes de lien social et d’émancipation, ajoutant : « Un projet d’EAC qui ne fonctionne pas, c’est un projet dont personne ne veut ». Elle plaide pour un dialogue actif entre les différents acteurs d’un territoire, insistant sur le fait que l’énergie mise dans la création de ces échanges est fondamentale pour la réussite des projets.
Mélanie Perrier, quant à elle, évoque les outils numériques, notamment les réseaux sociaux comme TikTok, qu’elle considère non pas comme un obstacle, mais comme un complément à la pratique artistique. Elle explique : « Les réseaux sociaux peuvent augmenter la fréquentation artistique et sont des outils de communication », soulignant que les outils numériques, lorsqu'ils sont bien utilisés, permettent une plus grande visibilité des projets artistiques et enrichissent la médiation en ligne.
Anne Pizet, de la Fondation Culture & Diversité, réaffirme l’importance de la transmission de la danse tout en préservant les objectifs fondamentaux de l’EAC. Elle évoque la nécessité d’utiliser les pratiques de manière complémentaire, afin de nourrir les dimensions de la culture à travers le voir, le savoir, et le faire. Elle ajoute : « Il ne s'agit pas d'opposer les pratiques dans l’EAC, mais de les enrichir mutuellement », en évoquant aussi le rôle des vidéos et des réseaux pour toucher un public plus large.
En conclusion, la danse dans l'éducation doit évoluer avec les outils numériques, tout en restant fidèle à une approche collaborative et décloisonnée. Il est essentiel de s'adapter aux évolutions technologiques tout en maintenant un dialogue constant entre tous les acteurs concernés, afin de toucher un public toujours plus large et de soutenir la culture face aux défis politiques actuels.
La journée se termine sur les mots inspirants de Dieynébou Fofana-Ballester, qui rappelle que la véritable question n'est pas tant la volonté d'intégrer la danse dans l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC), mais plutôt les moyens pour y parvenir.
Elle souligne que « les questions éducatives traversent tous les temps » et que, souvent, les politiques publiques de l'EAC sont conçues comme des projets isolés d'un seul ministère, sans véritable coordination interministérielle. « La force et la volonté publiques sont là, il se pose désormais la question des moyens », déclare-t-elle.
Elle évoque la nécessité de réinventer la manière dont la danse est mise en place, en la pensant comme une pratique essaimée et présente au-delà des temps d’école. La danse, selon elle, doit pouvoir « transformer les individus », mais la question du collectif demeure centrale : « L’EAC a dans ses expressions des réponses au collectif, car il est essentiel de montrer nos individualités et de les partager avec les autres ». Elle met en avant le pouvoir de la danse à créer du lien entre les différentes altérités, tout en soulignant qu’il manque encore une véritable recherche pour nourrir et structurer le réseau de l’EAC.
Dieynébou Fofana-Ballester aborde également les chantiers en cours pour améliorer l'EAC, notamment la formation des enseignants. Il est impératif de combattre l’idée que l’EAC soit une « mission en plus » et de montrer que la formation des enseignants doit transmettre, voir, montrer et expliquer. Elle met en garde contre la perception erronée que la danse est une discipline peu légitime, et insiste sur la nécessité de sensibiliser les équipes pour rendre légitime sa place dans le système éducatif.
Elle insiste aussi sur l’importance de l’enfance pour l’EAC, et en particulier pour la danse, soulignant que « l’importance du temps de l’enfance pour l’EAC l’est d’autant plus pour la danse ». Selon elle, il est essentiel de faire des choix conscients pour répondre aux enjeux sociétaux. « Lorsque l’on se met à penser que la culture est accessoire, c’est là qu’elle devient primordiale », déclare-t-elle, rappelant l'importance de la danse et de la culture pour se confronter à toutes les cultures, même sans y adhérer.
En conclusion, Dieynébou Fofana-Ballester exprime un dernier vœu : « J’espère qu’on vous a donné envie de danser et l’envie de le transmettre », soulignant l'importance de partager cette passion et de nourrir la transmission culturelle.
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Propos recueillis par quelques lauréats de La Relève :
Nathalie Colladon, Nadège Courant, Estelle Joly, Antoine Linguinou et Olivia Pili