Nacera Belaza
Artiste associée
Portrait, par Catherine Faye
Danser, une nécessité vitale. Comme respirer. Dans ses pièces, Nacera Belaza poursuit son exploration: sculpter le vide, lui donner un corps, le rendre palpable. “ Ceci n’est pas de la danse, ceci est un trait, un seul mouvement, celui d’échapper à soi…”, indique cette autodidacte née en 1969 dans un hameau proche de Médéa, en Algérie. C’est là aussi qu’elle passe sa petite enfance, avant que sa famille ne s’installe à Reims, 1973. C’est là aussi qu'elle revient chaque été, à la période des mariages, où s’entremêlent les chants des femmes, le son des darboukas et les youyous, lors de soirées que seules éclairent des bougies. Avec la liberté retrouvée auprès d’une famille élargie, chose perdue en France, où elle vit avec ses frères, ses soeurs et ses parents. “Certains s’intègrent, se diluent ; d’autres se replient, par peur de vivre dans un pays sans vraiment y vivre”, raconte la Franco-Algérienne, qui n’a de cesse de creuser le sillon de l’aller-retour entre ses deux patries. Une passerelle indissociable de ses créations et de son engagement dans la transmission et le partage. “Parler du geste de Nacera Belaza, c’est revenir sur ce qui fonde en mémoire son appartenance à une terre, l’Algérie, et à un entre-deux, une mer, la Méditerranée, en ce qu’il est un mi-lieu, à moitié de tout, pris entre deux-rives. Comme si son geste dansé se trouvait en ces bords où le là-bas interroge l’ici où qu’il soit”, écrit Frédérique Villemur dans l’ouvrage qu’elle lui consacre, Nacera Belaza, entre deux rives (Actes Sud). Répétition du geste, lenteur infinie, étirement du temps, ses chorégraphies explorent quelque chose de plus grand, de plus infime aussi : la naissance de la danse.
Nacera Belaza la pratique depuis ses 8 ans. Dès que ses parents sortent de l’appartement - car cela lui est strictement interdit -, elle pousse les meubles et se met à danser. “J’ai utilisé mon corps pour pouvoir m’exprimer.” Son rapport à la musique et au corps est spontané. Dès lors, il devient langage. Face à l’emprisonnement de sa double culture - qui deviendra ensuite sa meilleure alliée -, la jeune danseuse parle à travers son corps. En 1982, elle découvre Michael Jackson et le clip “Billie Jean”. C’est une trainée de poudre. “J’ai vu quelqu’un qui incarnait la voix et l’intime, ça me parlait, ça m’était familier, c’était une langue que je comprenais.” Plus elle grandit, plus les interdits deviennent forts et se referment sur elle. Elle n’a ni le droit de sortir, ni celui de danser. Elle ne peut qu’aller à l’école. Nous sommes dans les années 1990, et le durcissement venu des imams d’Arabie saoudite se fait ressentir. L’étau se resserre, et son désire de liberté devient de plus en plus fort. Alors qu’elle suit des études de lettre modernes à l’université de Reims, la littérature devient un détonateur fabuleux. Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, lui montre la voie. Il y a deux façons d’explorer le monde: soit on part à sa découverte et on voyage, soit on plonge à l’intérieur de soi. Elle comprend alors qu’elle peut être libre là où elle est. Le voyage devient vertical et la danse une introspection. Minimaliste. Sa quête spirituelle - elle est de confession musulmane - l’empêche de sombrer dans la violence. Jusqu’à la rupture. À 27 ans, elle décide de quitter sa famille, seule. C’est le vertige. Et l’envol. Elle crée sa compagnie en 1989. Son rayonnement est international. En 2015, Nacera Belaza est nommée Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Pour la première fois, ses amis et sa famille sont rassemblés dans une même pièce. “Mes parents ont pleurés. Puis ma mère m’a dit que je les avais rendus fiers." Ici, et en Algérie. Une consécration après tant d’années de combat. Et de résistances.
2008 - Prix de la révélation chorégraphique du Syndicat de la critique pour la création "Le Cri"
2015 - Nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres
2017 - “Prix Chorégraphie”, Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD)
2021 - Prix "100 femmes de culture", association femmes de cultures
Saison 22/23
Aller plus loin
Chorégraphies
- L'Envol, Festival Montpellier Danse (2022)
- L’Onde, Festival de Marseille (2020)
- Le Cercle, Festival de Marseille (2018)
- Solo(s): L’infime, Monuments en Mouvement, CMN (2017)
- Sur le fil, Montpellier Danse (2016)
- La Procession, MuCEM - Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (2015)
- La Traversée, Biennale de la danse de Lyon (2014)
- Les Oiseaux, Montpellier Danse (2014)
- Le Trait, Festival d’Avignon (2012)
- Le Temps scellé, Biennale de la danse de Lyon (2010)
- Les Sentinelles, Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis (2010)
- Le Cri, Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis (2008)
- Un an après… titre provisoire, Montpellier danse (2006)
- Paris-Alger, DANSEM, créée dans le cadre de l’année de l’Algérie en France (2003)
- Le sommeil rouge, Centre National de la Danse, Pantin (1999-2000)
- Périr pour de bon, Manège de Reims, Reims (1995)
- Le Pur Hasard, Centre National de la danse (2005)
- Le Feu, Centre National de la Danse, Pantin (2001)
- Point de fuite, Centre National de la Danse, Pantin (1997)
Commandes chorégraphiques
- La Veillée, création pour le Conservatoire Artesis Plantijn / Université d’Anvers, 2019
- Ziel Rouh, création pour ICK Amsterdam avec les danseurs du Ballet d’Amsterdam et l’Amsterdams Andalusisch Orkest, 2018
- 7EVEN, création pour le Ballet National de Marseille ayant comme point de départ "Les 7 nécessités” manifeste écrit par Emio Greco et Pieter C.Scholten, 2017
- Transmission de la pièce Les sentinelles, création de Nacera Belaza, interprétée par neuf danseurs de la “Formation professionnelle du danseur interprète”, Coline, à Istres, 2014
- UW-Vibration dans les airs, de Serge Adam, chorégraphie et mise en scène, Théâtre de l’Agora, Festival d’Avignon 2008
- Sans titre, création pour le Conservatoire Supérieur des Abbesses de Paris pour la promotion des élèves 2001, 2002
- Tissus, création pour le théâtre Le Salmanazar- SN d’Epernay, pour un trio de musiciens « Les Amants de Juliette » et trois danseuses, 2001
- Récif, création pour l’I.F.P. Rick Odums de Paris pour danseurs jazz et hip-hop, 1996
Autres collaborations
- Interprète du solo Faille écrit par Christine Gérard, 2007
- Commande du solo Non dit pour Brigitte Asselineau, 2006
Assistante à la mise en scène
- L’Etoile et la comète, mise en scène de Ayad Ziani Cherif, 2009
- La Pluie, mise en scène de Kheirdine Lardjam d’après le roman de Rachid Boudjedra, 2008
- Sans tuer on ne peut pas, texte de Roland Fichet, mise en scène de Gianni Fornet, 2006/2008
- El machina, texte de Alloula mis en scène par Ayad Ziani Cherif, 2006
- Nedjma de Kateb Yacine, mise en scène par Ayad Ziani Cherif, 2003
- Les Martyrs, mise en scène par Ayad Ziani Cherif, 2002
- Oum, mise en scène par Lotfi Achour, 2002
- Miroir, film d’Alexis Lloyd, 2001
Bibliographie
- Nacera Belaza, Entre deux rives, Frédérique Villemur, Ed. Actes Sud, 2018
- Nacera Belaza, Les carnets de la création, Virginie Littaye, Ed. de l’œil, 2003
Le parcours de Nacera Belaza s'est continuellement inscrit dans un va-et-vient entre l'Algérie et la France. En parallèle de ses activités avec sa compagnie basée en France, elle a fondé une coopérative artistique en Algérie, où elle propose des activités de formation et de sensibilisation des publics à l'art contemporain et au geste dansé.
Nacera Belaza se définit des deux rives, franco-algérienne, prise à une double culture qui l’enrichit plus qu’elle ne l’écartèle, et n’a cessé de creuser dans son parcours, le sillon de l’aller-retour entre ces deux pays.. Très tôt elle a eu le souci de son pays et a souhaité développer l’éveil et la formation artistiques. À partir de 2001, dans un désir de partage et un souci de transmission qu’elle ne dissocie pas de celui de la création et de l’interprétation, elle projette un programme d’éducation à la danse contemporaine, avec des partenaires institutionnels algériens et français. À travers des projets de créations, de nombreux cycles de formations, s'est cristallisé son engagement pour le développement de la création chorégraphique en Algérie.
La chorégraphe a impulsé d'autre part la création d'un festival itinérant et décentralisé "Temps Dansé" qui a été un point névralgique de l'activité entre deux rives : il a permis de représenter une fenêtre de visibilité importante de la danse contemporaine en Algérie par le biais d'une programmation exigeante accompagnée d'actions artistiques pour sensibiliser les publics.
Autour de ces pôles, deux projets à la croisée des arts participent à la création d'un échange dynamique entre les deux pays : une exposition photographique "Entre deux rives" présentée à Paris et en Algérie et la publication d’un ouvrage de Frédérique Villemur sur le parcours de la chorégraphe.